Tout à commencé

- Au secours ! A l'aide !

C'est ainsi que tout a commencé. 

J'avais 6 ans, j'étais cachée sous mon duvet, la main sur la bouche pour m'empêcher de crier. Comme souvent. Je ne savais pas exactement ce qu'il se passait de l'autre côté du mur mais je savais que c'était horrible et qu'il ne fallait pas faire de bruit. C'était devenu une habitude.

Pourtant cette nuit-là n'était pas pareille. Cette nuit là j'ai entendu un appel à l'aide et je l'ai pris pour moi. 

Du haut de mes 6 ans, j'ai cru que j'étais la sauveuse, que c'était moi qu'on appelait. Moi que ma maman, mon roc à moi, appelait pour la sauver. 

C'est ainsi que je l'ai sûrement sauvée, en me condamnant moi. Je suis toujours en vie, oui, mais j'ai traversé les années avec un poids bien trop lourd pour mes épaules.

Je portais depuis si petite une responsabilité beaucoup trop lourde. En grandissant j'ai cru que je devais sauver le monde, que j’étais responsable. Que sans moi les autres ne pourraient pas être heureux. J'ai appris à remarquer les besoins des autres, à écouter, à m'oublier. 

Quand on est enfant, une mauvaise vision d’une situation compliquée peut vite devenir un traumatisme sans qu’on s’en rende compte et c’est ce qui m’est arrivé.

J’ai grandi en croyant avoir cette responsabilité. J'ai porté sur mes épaules le bonheur et le malheur de toutes les personnes qui ont croisé mon chemin. Je les voyais heureux (grâce à moi) et malheureux (à cause de moi). 

Je vous vois rire et vous avez raison! Quelle égocentrique me direz-vous, elle pense être le centre du monde! Alors oui, vu comme ça, je suis sûrement égocentrique. Mais contrairement à ce que vous pouvez penser, c'est le poids de la responsabilité que je portais et non la fierté d'avoir ce "pouvoir". 

Du coup je suis super exigeante avec moi-même et j'essaie toujours d’être la meilleure, la meilleure maman, la meilleure femme, la meilleure amie, la meilleure employée. Je ne cherche pas à gagner ni à écraser les autres (enfin un peu parfois pardon), mais je cherche surtout à donner le meilleur de moi-même, tout le temps, et c’est épuisant je vous jure ! 

 

Et comme ça, un matin, PAF ! J'ai reçu une gifle. Mais pas la petite gifle qui te rosit la joue, celle où tu fais : aïe mais euh... 

 

Non, LA gifle, celle qui te projette et te colle au mur ! 

 

Je me suis réveillée un matin, les yeux collés, impossible de les ouvrir. Pas genre un peu d’eau et c’est fini... Non, ils étaient gonflés et irrités, la plus grosse crise d’eczéma que j’ai eue. Mon premier jour de vacances, super ! 

Je vous passe les détails mais pas le choix que d’aller voir un médecin, j’ai bien essayé deux-trois astuces glanées par-ci par-là, des crèmes, des granules, des secrets et même des cotons d’urine pendant dix minutes sur chaque œil ! Beurk... Et ça n’a même pas fonctionné ! 

Donc arrivée en urgence chez un médecin qui ne m’a jamais vue, parce qu’évidemment, quelle meilleure période pour que mon généraliste et mon allergologue qui me suivent depuis petite soient en vacances ? Ben pile quand j'ai besoin d’eux !  

La gentille doctoresse me voit ainsi entrer dans son bureau avec ma tête qui fait peur même aux miroirs, elle me regarde et me demande gentiment pourquoi je viens la consulter. 

 

  • Je me suis réveillée comme ça il y a cinq jours, habituée des crises d’eczémas, sur les bras ou ailleurs mais JAMAIS sur le visage, j’ai tout essayé... mais rien n'y fait... 

 

Elle me pose 2-3 questions, m’ausculte et là le verdict : 

 

  • C'est un burn-out madame, c’est du repos qu’il vous faut. 

 

Elle est bien bonne celle-là !  

 

Pour situer un peu l'histoire - et parce qu'entre la petite fille avec la responsabilité du monde sur les épaules et la maman de 38 ans qui ne peut plus ouvrir les yeux, il y a du chemin, des accrocs bien sûr, quelques dépressions, des échecs, mais aussi de magnifiques rencontres, de belles réussites, trois mariages (une autre histoire, ou plusieurs), trois enfants... enfin toute une vie!

Donc si vous n'avez pas suivi (je vous pardonne), j'étais heureuse, mariée avec l’homme de ma vie, trois merveilleux enfants, une famille en or, des amis incroyable, un job que j’adorais et des collègues fantastiques, pouvez-vous me dire comment j'aurais pu faire un burn-out? En vacances en plus ! Non mais elle est cinglée celle-là ! 

Donc assise en face de cette gentille doctoresse qui elle n'a pas l'air de comprendre, je lui explique - oui parce que voyez-vous, en plus de toutes mes qualités, j’aime aider les autres à comprendre ma vision des choses, la bonne donc – ah oui j’oubliais, en plus d'être égocentrique je suis également très modeste ! 

Donc revenons à nos moutons, le jour de cette fameuse claque. 

Malgré toutes mes explications, elle tient bon :  

 

  • Je comprends, je comprends le choc aussi, mais le burn-out ne veut pas dire que vous ne soyez pas heureuse dans votre vie, ça veut juste dire que vous avez trop tiré sur la corde et que votre corps vous avertit avant qu’elle ne cède et que vous vous retrouviez sur un lit d’hôpital ou pire à la morgue.  

 

Ah voilà, carrément ! Et le pire c’est qu’il n’y a pas de médicament pour guérir rapidement, je le lui ai demandé. 

 

Donc voilà, après 38 ans à vivre à fond, à donner tout ce que je pouvais tout le temps, à courir dans tous les sens pour tenter de satisfaire tout le monde, je me suis retrouvée alitée... Et il en aura fallu du temps et des remises en question pour réussir à remonter la pente. Je vous avoue que certaines choses étaient bien profondes, bien ancrées, bien cachées...  

Comme cette responsabilité beaucoup trop lourde que je portais depuis cette fameuse nuit. Et sans m'en rendre compte, sans en parler à personne, cette responsabilité s'est accrue et j'ai fini par croire que je devais - et pouvais - sauver le monde, que j’étais responsable de tous ceux que je connaissais.

Quelques mois de thérapie m’ont bien aidée je l’avoue, et je ne remercierai jamais assez ma merveilleuse psychiatre qui m’a tellement aidée et guidée dans ma guérison ! Elle a su trouver et faire ressortir cet apel à l'aide de ma mémoire, ce sentiment de responsabilité quand j'ai cru qu'il m'était destiné et surtout cette réalité. Cet appel n'était pas pour moi. Jamais je n'ai été responsable de lui sauver la vie. Je ne saurais décrire ce soulagement, cette légèreté qui m'a envahie instantanément lorsque j'ai compris cette vérité.

 

A la veille de mes 40 ans, heureuse et légère, je remercie ma famille, mon mari, mes enfants, mes amies et mes amis, je remercie toutes les personnes qui font partie de ma vie d'avoir toujours été là pour moi, d'accepter mes émotions si intenses, mes folies et mes envies, de m'accepter comme je suis, pas parfaite, pas la meilleure et surtout pas responsable de leur bonheur ni de leur malheur. 

 

A vous, à nous, à moi...